Article de blogue par Kiffer Card
Des aphrodisiaques anciens au chemsex, les drogues jouent un rôle intoxicant dans la sexualité humaine depuis fort longtemps.[1] Chez les hommes gais et bisexuels, les liens culturels avec la prise de drogues remontent aux origines des communautés gaies contemporaines, alors que les bars, les clubs et les saunas gais émergeaient comme les pierres de touche de l’amour et de la vie gais en Occident.[2] Il va de soi que les choses ont beaucoup changé au cours des dernières années : les bars, les clubs et les saunas ne sont plus les pivots qu’ils étaient autrefois, [3] la narration monolithique sur la signification de l’existence gaie s’est écroulée[4] et la multiplication des identités culturelles gaies (bears, twinks, professionnels, artistes, gaymers, etc.) a remis en question la pertinence des représentations traditionnelles de la sexualité et du genre.[5] Dans leur examen du rôle que la consommation de drogues continue de jouer aujourd’hui, les études qualitatives ont exploré à répétition les raisons pour diverses tendances de consommation, soulignant souvent leur rôle dans la formation de liens sociaux et l’adaptation au stress.[6] Pour de nombreuses personnes, la consommation de drogues repose inextricablement sur des « liens romantiques, émotionnels et communaux »,[7] ce qui dépeint les drogues comme ce que les Grecs anciens appelaient pharmakon, soit poison et guérison en même temps.[8]
Afin d’explorer la complexité de la consommation de drogues, nous avons récemment examiné comment les hommes gais et bisexuels de Vancouver utilisaient diverses drogues. Pour la plupart, les hommes gais et bisexuels étaient assez sages : 36,7 % d’entre eux ne faisaient qu’un usage limité de drogues et 25,9 % exhibaient des tendances de consommation plutôt conventionnelles (tabac, alcool et marijuana). Cependant, 11,4 % exhibaient des tendances caractéristiques de l’usage de drogues à des fins sexuelles (médicaments contre la dysfonction érectile, méthamphétamine, poppers et ecstasy), 9,5 % utilisaient des drogues de rave (alcool, ecstasy, cocaïne, poppers et champignons magiques), 12,1 % disaient utiliser des drogues de rue courantes (opioïdes) et environ 4,5 % utilisaient de nombreuses drogues dont ils prenaient la plupart en grande quantité.
Ces tendances sont intéressantes en elles-mêmes, mais elles révèlent aussi beaucoup de choses sur les personnes qui exhibent ces tendances de consommation. Voici quelques exemples : la prise de drogues de rue était associée à l’itinérance, au chômage et à l’auto-identification comme bisexuel ou hétérosexuel. L’utilisation de drogues de rave était associée à la jeunesse et à la fréquentation des bars gais. L’usage de drogues « sexuelles » était associé à un revenu annuel plus élevé, à une libido plus intense et au sexe en groupe. Enfin, la consommation de drogues multiples était associée à l’itinérance et au trafic de drogues.
Bref, la façon dont les hommes gais et bisexuels utilisent les drogues reflète bien plus que leur manière de se geler (ou de ne pas se geler, comme c’est le cas de la majorité). Cela raconte aussi une histoire sur les méthodes qu’ils emploient pour satisfaire leurs besoins sexuels, psychologiques, sociaux et économiques. En d’autres mots, la consommation de drogues est bien plus complexe que le portrait que les tribunaux et les bureaux de santé publique voudraient en brosser, et nous croyons qu’il est temps que les programmes, les politiques et, oui, la recherche reflètent cette réalité.
À propos de l’auteur
Kiffer est candidat au doctorat à l’Université Simon-Fraser et membre de l’équipe d’Engage-Vancouver. Sa recherche est principalement centrée sur l’intersection des changements technologiques, sociaux et comportementaux et leurs implications sur la santé de la population. Sa dissertation examine spécifiquement (1) comment les tendances en ligne et hors ligne des connexions communautaires se rapportent à la prévention du VIH et au comportement; (2) les facteurs interpersonnels qui façonnent les risques de VIH dans le cadre des rencontres débutant en ligne; et (3) les effets médiateurs des orientations culturelles allocentriques et idiocentriques sur la relation entre la recherche de sexe en ligne et les rapports anaux sans condom.
Références
[1] Sandroni, “Aphrodisiacs Past and Present.”
[2] Bérubé, “The History of Gay Bathhouses”; Israelstam and Lambert, “Gay Bars.”
[3] Simon Rosser, West, and Weinmeyer, “Are Gay Communities Dying or Just in Transition?”
[4] Ahmed et al., “Social Norms Related to Combining Drugs and Sex (‘chemsex’) among Gay Men in South London.”
[5] Rowe and Dowsett, “Sex, Love, Friendship, Belonging and Place.”
[6] Ahmed et al., “Social Norms Related to Combining Drugs and Sex (‘chemsex’) among Gay Men in South London”; Weatherburn et al., “Motivations and Values Associated with Combining Sex and Illicit Drugs (‘chemsex’) among Gay Men in South London.”
[7] Amaro, “Taking Chances for Love?,” pp. 255.
[8] Hayes and Gilbert, “Historical Milestones and Discoveries That Shaped the Toxicology Sciences.”
Gbolahan Olarewaju
24 janvier 2018