Acceptez-vous de relever le défi? La lutte contre le racisme dans nos communautés nécessitera tous nos efforts.

Plus de deux années se sont écoulées depuis que les premières mesures de confinement liées à la COVID-19 ont été misesen place au Canada. Deux ans plus tard, nous évoluons dans un monde différent. La COVID-19 a mis en lumière les vulnérabilités de notre système de santé publique. Tous les paliers de gouvernement ont été confrontés au fait que nous n’étions pas préparés pour faire face à une pandémie. Les multiples vagues de COVID-19 et le va-et-vient des restrictions provinciales ont créé un sentiment de constante incertitude. Et c’est dans cette turbulence que nous constatons l’impact disproportionné de la COVID-19 sur les communautés pauvres, racisées, bispirituelles, lesbiennes, gaies, bisexuelles, trans et queer (2SLGBTQ+). Parallèlement à la pandémie, le public a été forcé de reconnaître la réalité troublante du racisme systémique comme jamais auparavant. Les meurtres de George Floyd en mai 2020 et de huit personnes à Atlantaen mars 2021, dont six femmes asiatiques, ont déclenché une série de manifestations antiracistes dans le monde entier. En réfléchissant à ces deux dernières années, nous ne devons pas oublier les défis uniques que la COVID-19 a posés aux membres de la communauté noire, est-asiatique et 2SLGBTQ+.

Entre novembre 2020 et octobre 2021, 59 hommes racisés gais, bisexuels, queer et autres hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (GBQ) dans trois des plus grandes villes du Canada (Vancouver, Toronto et Montréal) ont accepté de nous partager leurs expériences en matière de discrimination pendant la pandémie de COVID-19. Les résultats de l’étude Engage sur la COVID-19 montrent que les hommes GBQ racisés ont été confrontés à des taux élevés de discrimination et de harcèlement pendant la pandémie de COVID-19 sous forme de communications racistes sur les origines et la transmissibilité du virus. Les hommes GBQ asiatiques et noirs ont été parmi les plus touchés à cet égard.

Pour de nombreux hommes GBQM asiatiques et noirs de notre étude, le harcèlement verbal et l’exclusion sociale n’étaient pas des expériences nouvelles. La COVID-19 n’est pas non plus la première épidémie virale où les communautés racisées sont perçues comme des vecteurs de maladie. Il est répandu dans l’histoire du Canada que les communautés minoritaires servent de boucs émissaires lors de crises de santé publique. À titre d’exemple, pensons à la panique morale concernant la maladie à virus Ebola qui visait les populations immigrantes africaines, aux discours racistes qu’ont subis les communautés chinoises au Canada lors de l’épidémie de SRAS au début des années 2000 ou bien à la façon dont certaines personnes réagissent à l’épidémie du VIH depuis son apparition. Des chercheurs ont constaté, par exemple, que le racisme anti-noir et la stigmatisation du VIH ont créé un environnement où les hommes gais noirs sont traités comme des partenaires sexuels indésirables sur la base de récits discriminatoires sur le risque sexuel (Arscott et al., 2020). Plus récemment, les médias ont implicitement (et explicitement) qualifié la variole simienne de maladie africaine liée à la communauté noire, et ce, même si elle touche diverses populations dans le monde. Il n’y a rien de surprenant, le racisme est un terrain connu pour nous à bien des égards. Ce que nous avons constaté, cependant, c’est que la COVID-19 a créé de nouvelles occasions pour les gens de se montrer intolérants.

Par exemple, les participants est-asiatiques des trois villes ont signalé de multiples formes de harcèlement raciste au quotidien. Que ce soit dans la rue, dans le métro, au centre commercial ou sur les sites de clavardage, des étrangers ont clairement fait comprendre à de nombreux hommes GBQ est-asiatiques que leur présence n’était pas désirable et qu’ils n’étaient pas à leur place. « Vous nous avez apporté le virus », a affirmé un étranger. « Ton peuple a fait quelque chose de mal », a dit un autre. Beaucoup de ces incidents ont eu lieu dans des espaces publics. Personne n’est intervenu dans tous les cas signalés. Ces expériences demeurent préoccupantes pour les membres de la communauté est-asiatique, car un rapport récent publié par le service de police de Toronto (TPS) a révélé que les signalements de crimes haineux anti-asiatiques étaient plus fréquents en 2021 qu’en 2020. 

Quant aux hommes GBQ noirs avec lesquels nous avons parlé, plusieurs ont affirmé avoir fait l’objet d’une surveillance accrue en temps de COVID-19. Bien avant que le port du masque ne soit recommandé – et dans certains cas, obligatoire – comme mesure de prévention de la COVID-19, les hommes noirs de partout au Canada ont fait part de leurs préoccupations quant à la façon dont le masque les mettait en danger, car ils étaient plus susceptibles d’être perçus comme des « menaces ». Avant la pandémie de COVID-19, les hommes noirs faisaient souvent l’objet d’une surveillance policière dans les espaces publics parce qu’ils étaient soupçonnés de prendre part à des activités criminelles (Rizvi 2021). Ces expériences ont également été partagées par certains des hommes GBQ noirs que nous avons interrogés. Pendant la pandémie de COVID-19, les masques (en particulier de type artisanal) ont été perçus par certains membres du public comme un signe d’appartenance à un gang. Par conséquent, la peur raciste d’une figure masculine noire non identifiée et présumée criminelle a fait que de nombreux hommes noirs ont subi une surveillance accrue pendant la pandémie deCOVID-19.

Évidemment, la COVID-19 a eu un impact sur l’ensemble de la population canadienne. Elle a affecté notre santé physique et mentale d’une manière que nous essayons encore de comprendre et de gérer. Les populations 2SLGBTQ+ ont été confrontées à des défis uniques et les participants de notre étude ont signalé des sentiments de solitude persistants, des perturbations dans l’accès aux services de santé et, dans certains cas, des pénuries de médicaments (par exemple, prophylaxie préexposition et hormonothérapie substitutive). Elle a transformé nos interactions avec nos amis et notre famille. Alors que nous nous dirigeons vers une « nouvelle normalité » et que nous cherchons à renouer avec les gens de notre entourage, nous devons également renouveler notre engagement envers l’intersectionnalité des luttes et les multiples formes de discrimination croisées, et ce, où qu’elles apparaissent et peu importe la manière dont elles se manifestent. La santé de nos communautés en dépend.

Cela implique de dénoncer les stéréotypes racistes dans les conversations et d’intervenir lorsque nous sommes témoins de harcèlement en public. Il ne s’agit pas seulement de soutenir vos pairs noirs et est-asiatiques, mais aussi de s’attaquer à d’autres formes de discrimination comme le racisme anti-autochtone, la transphobie et le capacitisme, qui restent toutes répandues en temps de COVID-19. Le racisme systémique est une crise de santé publique (Devakumar et al., 2020; Calvente 2021; Dryden et Nnorom 2021). S’attaquer au racisme pendant, et au-delà de l’épidémie de COVID-19 signifie porter attention aux expériences des communautés marginalisées. Pour ce faire, il est nécessaire de recueillir des données sociodémographiques de manière ciblée et éthique, y compris des données fondées sur la race, afin de s’assurer que nous comprenons les impacts spécifiques des épidémies sur les différentes communautés et que nous y sommes sensibles. Ce travail exige également que les institutions confrontent leur passé raciste pour améliorer le type de relations qu’elles peuvent entretenir avec les populations racisées et 2SLGBTQ+.

Alors que nous continuons à réfléchir sur les deux dernières années, considérons également cette « nouvelle normalité » comme une opportunité. Essayons d’imaginer la prévention des maladies, les soins de santé et la communauté autrement. Cela risque d’être un défi, mais la lutte contre le racisme est possible et représente une responsabilité collective. Le nombre de cas de variole simienne signalés au Canada continue d’augmenter, les hommes GBQ étant les communautés les plus touchées à ce jour. Ces derniers ont été tenus pour responsable de la propagation du virus au Canada et les médias internationaux ont présenté la communauté noire comme le visage du virus. Les hommes GBQ noirs sont donc particulièrement vulnérables à la discrimination. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) et le Programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida (ONUSIDA) ont rapidement dénoncé les reportages racistes et homophobes sur la variole simienne, mais les épidémies de COVID-19 et de VIH nous ont montré que la lutte contre la stigmatisation nécessite une vigilance continue de notre part. En ce mois des Fiertés, rappelons-nous que la lutte contre la stigmatisation et la discrimination se poursuit. Cette « nouvelle normalité » est une opportunité; ensemble, essayons d’imaginer le « soin » et la « communauté » autrement. 

Cette recherche a récemment été présentée à la conférence annuelle virtuelle de l’Association canadienne de recherche sur le VIH (ACRV). L’ensemble de nos résultats sera présenté dans un article à venir intitulé Unpacking Racism amid Intersecting Epidemics of HIV and COVID-19: Narratives from Racialized Canadian Gay, Bisexual, and Queer Men par Cornel Grey, Ian Liujia Tian, Shayna Skakoon-Sparling, Emerich Daroya, Ben Klassen, David Lessard, Mark Gaspar, Jad Sinno, Jordan M. Sang, Amaya Perez-Brumer, Nathan J. Lachowsky, David M. Moore, Jody Jollimore, Trevor A. Hart, Joseph Cox et Daniel Grace.

Rédigé par Cornel Grey, Ian Liujia Tian et Daniel Grace 

École de santé publique Dalla Lana, Université de Toronto

Pour plus de détails, veuillez contacter Daniel Grace par courriel à daniel.grace@utoronto.ca ou Cornel Grey par courriel à cornel.grey@utoronto.ca.

Références

Arscott, Joyell, Janice Humphreys, Elizabeth Merwin et Michael Relf. 2020. ‘“That Guy Is Gay and Black. That’s a Red Flag.” How HIV Stigma and Racism Affect Perception of Risk Among Young Black Men Who Have Sex with Men’. AIDS and Behavior 24 (1): 173–84. https://doi.org/10.1007/s10461-019-02607-4.

Calvente, Lisa B. Y. 2021. ‘Racism Is a Public Health Crisis! Black Power in the COVID-19 Pandemic’. Cultural Studies35 (2–3): 266–78. https://doi.org/10.1080/09502386.2021.1898017.

Devakumar, Delan, Sujitha Selvarajah, Geordan Shannon, Kui Muraya, Sarah Lasoye, Susanna Corona, Yin Paradies, Ibrahim Abubakar et E. Tendayi Achiume. 2020. ‘Racism, the Public Health Crisis We Can No Longer Ignore’. The Lancet 395 (10242): e112–13. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(20)31371-4.

Dryden, OmiSoore et Onye Nnorom. 2021. ‘Time to Dismantle Systemic Anti-Black Racism in Medicine in Canada’. CMAJ 193 (2): E55–57. https://doi.org/10.1503/cmaj.201579.

Rizvi, Duaa. 2021. ‘Ontario Has a History of Racist Police Checks—Is COVID-19 Bringing Them Back?’ The Pigeon, 21 avr. 2021. https://the-pigeon.ca/2021/04/21/covid-19-enforcement-by-ontario-police-is-a-new-form-of-carding-say-activists/.

Engage
28 juin 2022